Renouveau

bois local

 

Un projet alternatif et engagé redonne vie à l’usine

En 2016, quand les premiers membres du futur collectif du moulinage de Chirols rencontrent les bâtiments de cette ancienne usine, celle-ci est inoccupée depuis 2002, prend l’eau par endroit et menace de tomber progressivement en ruine. La mairie fait alors un appel à projets sur la partie de 600 m2 située au-dessus de l’écomusée, et lui appartenant. Mais ce sont les quelques 4 600 m2 appartenant encore à l’entreprise de la famille Plantevin qui les interpellent, et qui réveillent chez les uns ou les autres trois grandes envies, qui vont s’avérer compatibles : créer un pôle artistique et culturel, avec de l’accueil en résidence d’artistes, une salle de spectacle, des ateliers de fabrication de décors ; créer un pôle d’expérimentations architecturales et écologiques en s’initiant à l’auto-réhabilitation et en accueillant des chantiers participatifs ; proposer des modalités pour habiter autrement, avec des espaces domestiques partagés, et en invitant à une solidarité dans la gestion et la coresponsabilité d’un bien commun, sans spéculation possible ni propriété individuelle. C’est autour de ces envies que les membres du collectif se sont rencontrés, en aspirant à en faire naître d’autres et à essaimer pour rassembler autour d’un socle de valeurs communes. Porté par des utopistes travailleurs prenant le contre-pied des rénovations en milieu rural à destination saisonnière et touristique, notre projet se voulait d’emblée ancré dans son territoire, en synergie avec les initiatives locales et avec l’histoire du lieu.

Pendant 3 ans, le collectif qui se constitue peu à peu, au gré des rencontres et changements de vie, se réunit une fois par mois pour un week-end de réunion plénière. Cette période est l’occasion pour le groupe de fondateurs d’apprendre à se connaître, tant dans le travail que dans les moments festifs, de se constituer un solide socle de valeurs communes et partagées au-delà des différences des un.e.s et des autres, et de développer une forme d’intelligence collective qui leur est bien propre.

En mai 2019, après plusieurs années de montage de projet et de travail en commun, le collectif[1] acquiert enfin les deux bâtiments du moulinage de Chirols. Le chantier démarre aussitôt et sur les chapeaux de roues : il faut avant tout créer des espaces « temporitifs » (soit du temporaire de long terme… ce qui ne veut pas dire du définitif !) afin de pouvoir vivre sur place le temps du chantier et y accueillir les volontaires de passage qui contactent chaque semaine le collectif pour leur proposer leur aide, embarqués qu’ils sont dans la dynamique positive du projet. Le bâtiment « habitat » accueille un espace « foyer » (grand salon et cuisine partagée), un dortoir, une salle de bain et une salle dite « polymorphe », où se déroulent spectacles, projections, réunions et répétitions de théâtre ou de musique, ouverts aux besoins du territoire. Des bureaux partagés, eux aussi accessibles à tous, ouvrent leurs portes à l’automne 2020. Du côté de l’usine, l’activité reprend aussi progressivement avec des ateliers d’artisans travaillant le bois, le métal, et même le textile.

Auto-réhabilitation bénévole sans valorisation des « parts en industrie »[2], réserves impartageables (en cas d’éventuels bénéfices de la coopérative), auto-gestion,  responsabilisation individuelle et collective, gouvernance horizontale et décisions par consentement, voilà qui peut donner la couleur d’un projet dont l’esprit tranche quelque peu avec le passé de l’usine, son fonctionnement paternaliste d’une certaine époque, et son économie soumise à la mondialisation libérale des marchés qui l’ont finalement menée à la cessation d’activité.

Et pourtant, la préservation et la transmission de l’histoire industrielle du lieu est au cœur des préoccupations du collectif. Dès l’installation au moulinage, certains membres ont entrepris un projet de collecte de témoignages de personnes qui ont connu l’usine en fonctionnement, que ce soit en tant qu’ouvrières, voisins, salariés ou entrepreneurs, témoins de la richesse de la vie sociale qu’impulsait l’activité du moulinage dans la vallée.

Ce projet « Mémoires du travail » porté par le collectif, associé à la Maison de Vallée (Burzet) et au projet « Quartier de Voyage » mené à Pont-d’Aubenas (dont l’histoire moulinière est liée à celle du Pont-de-Veyrières), devrait aboutir à une exposition sonore associant la mairie et l’écomusée. Des restitutions publiques sont organisées et des émissions créées et diffusées sur la radio locale Fréquence 7[3].

Ces rencontres, associées aux visites du moulinage en chantier qui sont régulièrement organisées, ont permis au projet d’être de mieux en mieux compris et largement encouragé par les Chirolains de toutes générations. Toutes et tous sont ravis de voir le moulinage reprendre vie plutôt que de s’effondrer peu à peu, et d’être invités à s’y rendre le temps d’un chantier participatif, d’un spectacle, d’une balade – ou d’une partie de pétanque ! – avant de peut-être un jour y habiter, y travailler, fréquenter la future cantine associative ou encore faire ses courses dans la future épicerie solidaire.


[1] Constitué en association collégiale et en société coopérative (future SCIC, Société Coopérative d’Intérêt Collectif)

[2] Apport en temps au projet, que nous avons voulu non monétarisable

[3] Réécoutables en podcasts : https://lemoulinageenchantier.lepodcast.fr.